Le crépuscule des Gueux
« Les Gueux, c’était l’enfer.
Et c’était aussi le paradis. Allez expliquer ça… L’enfer, le paradis, les deux chacun son tour, ou les deux superposés, j’ai jamais su bien m’expliquer. Une sorte de milieu qui hésitait, qui balançait ; tantôt l’un, tantôt l’autre, et tantôt ça se mélangeait, comme les nuages dans le ciel de mars, quand ça vire aux giboulées. Parfois ça tanguait fort, il y en avait qui tombaient, on ne les revoyait jamais. D’autres arrivaient, ils les remplaçaient. C’était pas souvent, dans l’ensemble. Des années que ça durait. Les Gueux, c’était un no man’s land avec du monde dedans. Comme un pays sans nom, ou alors juste un petit, et Môme, comment vous dire ça, c’était un peu la reine, parce que c’était l’ancienne, celle qu’était là avant. Mais bon, hein, elle n’avait pas de roi, et sa cour, c’était celle des miracles. Ceux qui vivaient là, ils se cramponnaient, vous comprenez, comme des naufragés sur un radeau qui prend l’eau qu’on colmatait au système D. On s’arrangeait, fallait bien.
Et puis ça a recommencé. Et puis ça s’est arrêté. C’est quand on a compris, quand tout était fini, que tout a démarré. Les trois mortes, c’est sûr, elles n’étaient pas inventées. Alors, enfer ou paradis, j’ai plus douté. »
Le crépuscule des Gueux
« Après »